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Désir noir, d'Anne-Sophie Jahn

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Désir noir, d'Anne-Sophie Jahn
- éd. Flammarion - 

Cet ouvrage sous forme d’enquête menée par Anne-Sophie Jahn, journaliste au Point, nous ramène dans un premier temps en 2003, année où Marie Trintignant a succombé aux coups de Bertrand Cantat.

J’avoue avoir pensé à l’époque qu’il s’agissait d’une mort liée à une passion dévorante, un acte qui, pour horrible soit-il, ne faisait pas de son auteur un être diabolique.

Ma perception a changé depuis car cette première mort fut suivie par une autre 7 ans plus tard, celle de sa femme qui se pend dans sa chambre, avec les questionnements qui s’imposent et qui donnent à ce récit la structure d’une poupée russe : 

⁃ tout d’abord le fait divers : le coup de foudre, l’événement, le procès 

⁃ l’aspect psychologique : qui est vraiment Bertrand Cantat ? Version lumière, une personnalité particulièrement charismatique, séduisant tous ceux qui l’approchent, exprimant des idées politiquement correctes et bien sûr bon musicien et bête de scène.  Côté obscur, très narcissique, d’une grande violence tue par un entourage qui le protège pour des raisons différentes : la protection des enfants pour sa femme, sans doute la survie du groupe, la peur des réactions des fans et de Bertrand Cantat lui-même. 

Franz-Olivier Giesberg en fait une description à mes yeux convaincante :

« Depuis qu’il a battu Marie Trintignant à mort (19 coups dont 4 au visage), il geint à longueur de temps. Il faudrait qu’on le plaigne et il y en a pour tomber dans le panneau. Ce n’est pas là, une histoire de pardon et de rédemption. C’est l’histoire d’un assassin narcissique, as de l’auto apitoiement qui était toujours dans le camp du bien et qui continue à s’aimer sous le regard énamouré de ses fans. »

⁃ L’aspect politique : 

Il bénéficie du soutien d’une certaine presse (les Inrockuptibles notamment) et d’un certain milieu artistique de gauche, le camp du bien toujours. La justice lui fut également très clémente. 

⁃ L’aspect sociétal : 

Ce qui semble n’être tout d’abord qu’un fait divers s’inscrit dans un contexte plus large des violences faites aux femmes.

21 ans après le meurtre de Marie Trintignant, les violences faites aux femmes continuent de progresser avec un bond de 21 % en 2021. Cette année-là, 122 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex partenaire. Une nouvelle loi visant à protéger des victimes de violences conjugales, a été promulguée en 2020. Elle prévoit notamment que le harcèlement moral au sein du couple qui a conduit au suicide ou à une tentative est dorénavant puni d’une peine de 10 ans de prison et 250 000 € d’amende. 

Pour illustrer ce dernier aspect, je finirai par des extraits du terrible message téléphonique de Krisztina à ses parents lorsqu’elle a repris la vie commune avec Bertrand Cantat :

« … Hélas, je n’ai pas grand-chose de bon à vous offrir et pourtant il aurait semblé que quelque chose de très bon m’était arrivé mais en l’espace de quelques secondes. Bertrand l’a empêchée, il l’a transformée en un vrai cauchemar qu’il appelle amour… j’ai failli laisser une dent, il m’a balancé mon téléphone, mes lunettes, m’a jeté quelque chose de telle façon que mon coude est complètement tuméfié et malheureusement un cartilage s’est même cassé, mais ça n’a pas d’importance tant que je pourrai encore en parler. J’ai essayé, j’essaye de vivre de telle manière que je ne sois pas obligée de fuir car soit il sera déjà trop tard pour fuir faute d’être encore en état pour le faire, soit je réunis mes forces maintenant et je m’enfuis… vous pouviez deviner qu’une série d’évènements encore plus regrettable que celle de 2003 a eu lieu car a l’époque cela ne m’était pas arrivé à moi. Tandis que maintenant cela m’arrive ; déjà à plusieurs reprises, j’ai échappé au pire et puis c’est intenable, les enfants n’en peuvent plus, vous ne sauriez imaginer pire que ma vision de la chose et Bertrand est fou, il croit que c’est là le plus grand amour de sa vie et que mise à part quelques petits déraillements, tout va bien, et tout le monde bien sûr dans la rue le considère comme une icône comme un exemple comme une star et tout le monde désire que pour lui tout aille bien et après il rentre à la maison et il fait des choses horribles avec moi devant sa famille. Voilà c’est tout et j’espère qu’on va pouvoir s’en sortir et que vous pourrez encore entendre ma voix et sinon vous aurez au moins une preuve que… mais des preuves il y en a, les gens dans la rue et nos amis car ce qu’ils ont vu hier quand Bertrand a tout cassé… »

De cette preuve, la justice n’a rien fait, pas plus que des témoignages accablants  mais en off émanant de certaines personnes de son entourage. 

Ce livre est glaçant ; Bertrand Cantat est sans nul doute un dangereux récidiviste qui a et continue de bénéficier de jugements complaisants.

Parution : mars 2023
224 pages
20,00 euros